Attention, marque déposée. Ami d’enfance : un  label qui déclare à tout le monde que là, c’est du solide, du profond, de l’inébranlable. Comme la famille, mais en mieux, puisqu’on l’a choisi, l’ami d’enfance est le lien avec notre passé, un moyen sûr de retrouver nos racines. Pourquoi donc le temps n’a-t-il aucune prise sur cette affection qui ne date pas d’hier ?

Un rocher dans la tempête

Tout bouge autour de nous: le monde bouleversé par des guerres et des catastrophes naturelles, notre pays bahuté par des choix politiques incertains, nos villes, traversées par des tramways et paralysées par des grèves, notre famille, amputée quand les enfants s’en vont, brisée quand il y a divorce ou séparation, recomposée quand on tente d’assembler des morceaux venus d’ailleurs.

Tout change : la mode, le vocabulaire, la maison, le bureau, les relations et nous par la même occasion. Bousculés et sans repères, on se raccroche à ce qui semble authentique : les vieux meubles, l’alimentation bio, les médecines alternatives, et le retour à la nature. Entre méditation et Taï Chi, entre psy et jardinage, on part à la recherche de son moi profond, en quête d’un ponton auquel s’amarrer.

Dans la tourmente de nos vies et de nos sentiments, tel un rocher, l’ami d’enfance reste la pierre d’angle d’une construction souvent très érodée.

Rappel de notre passé, témoin de notre jeunesse, il est là, naturel, disponible, à l’écoute. On se voit tous les 36 du mois ? Pas grave, le fil se renoue tout seul. On l’a perdu de vue depuis des années ? Peu importe. Un coup de fil, une rencontre, c’est simple comme bonjour, tout recommence comme si on ne s’était jamais quittés.

« A la vie, à la mort »

L’enfance est le temps des serments, des échanges solennels où l’on se jure de mourir l’un pour l’autre. Le lien avec son meilleur ami est intense et sincère. Aucune notion d’intérêt ne vient l’entacher. L’amitié est authentique et sans limite. Cette complicité, établie souvent pendant la prime jeunesse, est basée sur une confiance réciproque et sans faille, et donne une assurance nouvelle. Fort de cet appui, on regarde la vie d’un autre œil. Même si l’ami, parfois, reste dans l’ombre.

« Yves et moi, on était comme deux frères, se souvient Jean-Jacques, 53 ans, gérant d’un centre commercial. J’avais 8 ans, je suis fils unique et j’étais sous cloche. A l’école, j’ai trouvé une âme solitaire, comme moi, une sorte de double. Sauf que Yves était fort, batailleur, et arrogant.  Je l’imitais en tout, j’’étais sous influence,. j’osais les défier mes parents, les narguer, désobéir. »

Ange gardien ou diablotin, on suit son meilleur ami comme l’étoile du berger. Ses conseils sont forcément plus avisés, plus justes. L’ami ne juge pas, ne se moque pas, il est généreux et ne nous veut que du bien.

On est dans une osmose totale basée sur un mélange de vécus, de reconnaissance et d’affection. Cette affection, nouée quand on est encore très jeune, est immédiate et spontanée, on reconnaît l’autre, et on est sûr de ne pas se tromper.

L’enfant ne réfléchit pas, ne se protège pas.  N’écoutant que son instinct et son cœur, il donne tout, tout de suite. Pour lui,  un ami d’enfance, c’est un trésor à garder précieusement, car il est souvent le seul à comprendre l’univers fantasmagorique dans lequel on évolue. Après, quand on grandit, l’ami reste un bien inestimable, un abri sûr, une oreille attentive, un regard indulgent. Il sait tout de nous et réciproquement. Cette connaissance mutuelle, ces expériences partagées, forgent un sentiment durable et très pur qui résistera au temps et aux éventuelles agressions de nouveaux venus.

L’accord parfait

Parfois l’amitié se construit lentement. Les années passent et la connivence devient évidente. Après le bac à sable et les bancs de la fac, on se retrouve encore et toujours, pour évoquer le bon vieux temps ou mettre en place des stratégies de défense en cas d’avis de tempête. Nouée au temps du bonheur et de l’insouciance, le succès ou l’adversité révèle la profondeur de l’amitié. Argent, promotions, réussite familiale viennent parfois polluer une relation éthérée qui ne s’inscrivait pas dans la durée.

Si certaines relations s’effondrent au contact de la réussite de l’autre, c’est qu’elles étaient condamnées d’avance ou que la limpidité de l’enfance n’a pas résisté à la réalité. L’amitié est un engagement. Présence, écoute, disponibilité en font partie. Des peines de cœur aux contrats de travail en passant par les enfants, la tendresse d’un ou d’une amie d’enfance ne faiblit jamais.

Des limites à ne pas dépasser

La confidence a pourtant des limites. Le meilleur ami n’est pas un psy. Tout lui raconter peut parfois le gêner, le mettre dans une situation délicate, l’obliger à prendre parti. Quand ce n’est pas, tout simplement, créer une sensation de malaise, provoquée par un sentiment d’impuissance ou par l’impression de donner dans le voyeurisme. Tout raconter ne veut pas dire déverser, se répandre, ou passer ses nerfs. Ni demander sans arrêt ce qu’il faut faire.

Dans l’amitié, il y a tolérance et réciprocité. Mais il y a aussi discrétion et sélectivité. D’un côté on ne sollicite pas les confessions trop intimes, de l’autre, on fait semblant d’oublier.

Les moments pénibles, les trop-pleins de passion ou de colère sont des parenthèses. Pas la garantie de créer des liens encore plus intenses. Tact et prudence sont à conseiller. D’autant que l’amitié, même si elle est d’enfance, se nourrit de choses bien différentes aussi, et parfois tellement simples : aller au cinéma par exemple, courir les vide-greniers ou faire une randonnée.

Après, c’est incroyable ce que l’on a à partager…