Certains diraient poétiquement que la vie à deux est une valse, un glissement par-ci, une envolée par là. Plus prosaïquement, la comparaison avec la conduite automobile s’impose : on accélère, on débraye, on rétrograde, on ralentit, on dépasse ou, au contraire, on est bloqué dans un vaste embouteillage et on devient fou à lier. Pour ne pas abîmer la mécanique et ne pas user ses nerfs, il faut savoir s’adapter.

Osmose peut signifier surdose

Dans le couple, au début, on prête serment. Tels des enfants on jure de tout se dire. L’amour donne des ailes mais on est  englué : copié-collé et pas envie de s’envoler.

On pense la même chose, on se comprend à demi-mot, on fait tout pareil. “ Je te connais comme si je t’avais fait, lançait Marie-Noelle à son mari, Philippe. Tu es un livre ouvert. Comme moi, tu ne peux rien cacher.

Couple exemplaire, en osmose totale, travaillant ensemble, aimant les mêmes livres, les mêmes films, les mêmes amis. Leur complicité faisait des envieux. Sauf qu’un beau jour, Philippe, asphyxié par Marie-Noelle en a eu assez de fusionner et a mis fin à leur belle et brève histoire.

« Dans l’état passionnel, souligne le Docteur Malarewicz*, psychiatre, il n’y a pas de limite. C’est un partage absolu, presque mystique. Mais, au bout d’un certain temps, cela devient insupportable pour l’un des deux. Parce qu’il a perdu son identité. La fusion se fait au détriment d’une personnalité. »

Autrefois, les femmes ne parlaient pas. Mariées souvent pour le pire, elles souffraient en silence, stoïques, pour maintenir une certaine image de la famille. Les maris partaient certes, mais pour mieux revenir auprès de leur sainte femme.

L’adultère masculin était un passage obligatoire, le ciment d’un ménage où l’épouse fermait les yeux par tradition. Si on n’avait préparé la promise aux joies de la nuit conjugale, en revanche elle avait eu largement le temps de compter les liaisons de son père et de deviner que son futur ne serait pas toujours rose.

Un homme, ça se gagnait, passé la Sainte Catherine, l’affaire se compliquait, alors la fidélité, vraiment, il ne fallait pas rêver.

Parler le même langage

En mettant un pied dans le monde du travail, en participant aux finances du couple, la femme a eu son mot à dire. Libérée par la pilule, soulagée par des passages fréquents sur le divan, fascinée par la télé-thérapie et ses témoins impudiques, elle s’est ensuite exprimée à tout bout de champ. Parler pour s’épanouir, tout dire pour mieux vivre, tel était son nouveau credo.

L’homme, lui,  se taisait. En fait, il avait beaucoup parlé avant. Au temps de la séduction. Une fois qu’il avait planté son drapeau sur le territoire conquis, c’était fini. Retour dans le monde du silence.

« La femme est très différente, explique le Docteur Malarewicz, elle est dans le rythme, dans le temps, dans la durée. La parole marque le tempo qu’elle veut donner au couple. Le problème est que, souvent, s’instaure un monologue. Or dialoguer, c’est d’abord écouter.»

Trop de verbe tue, les psychologues et thérapeutes du couple sont unanimes. Parler le même langage ne veut pas dire parler tout le temps. A force d’exprimer ses sentiments, on les épuise. Interroger, analyser, raconter, exprimer, se confier, déballer, autant d’infinitifs qui peuvent aboutir au définitif : un bel échec, générique de fin de film.

Raconter son passé, ses traumatismes d’enfance, s’étendre complaisamment sur ses anciennes romances, ça se fait. Au début du moins. Au risque de réveiller une jalousie qui ne fera que croître ou d’endormir un intérêt provoqué en réalité par un certain mystère.

Partager des joies ou des peines, construire des projets, affronter ensemble la tourmente ou se laisser aller au bonheur, autant de moments vécus qui nourrissent un couple. En principe on entre en couple comme on entre en religion, et non pas comme on entre en lice ou comme on entre en scène.

On quitte donc son vieux chez soi ou son soi tout court, on abandonne quelques vieux rêves et beaucoup d’habitudes pour aborder de nouveaux rivages. La navigation sera longue et parfois difficile : regarder dans la même direction implique des compromis et des sacrifices. Le bonheur est à ce prix et l’amour est là pour rendre le chemin moins aride.

Se taire n’est pas forcément mentir

Fusionner est donc dangereux car, comme l’a si bien dit Oscar Wilde, « Dans le couple l’homme et la femme ne font plus qu’un. Oui, mais lequel ? »

Mais ne rien dire est mortel. Quoique…Pour préserver son couple, il faut savoir se taire. Faute avouée n’étant jamais pardonnée, contrairement à ce que dit le proverbe, si infidélité il y a, mieux vaut la cacher.

Point de vue masculin assez répandu : « Evidemment, s’énerve Gérard, quinquagénaire fringant, le coup de canif au contrat, il faut le cacher. L’avouer c’est faire du mal à l’autre. »

Pour le Docteur Gérard Apfeldorfer, psychiatre, tout dépend de ce qui a été défini dés le départ, tacitement ou pas. « Chaque couple passe un contrat, et aujourd’hui il n’y a vraiment plus de règle. Les traditions sont obsolètes, à chacun sa définition.»

Il faut donc savoir garder un secret. Attitude morale, goût du mystère, réaction face à la mode actuelle de la totale transparence, ceux qui défendent ce point de vue sont aujourd’hui montrés du doigt. Nous vivons dans le déballage permanent, l’exhibition est la règle et l’impudeur est de rigueur : amour, sexe, intimité, la vie privée est devenue publique.

La mode  de la transparence

L’exhibitionnisme sentimental est la négation de la communication, car il n’y a aucun souci de l’autre.

Je me montre donc je suis. Je parle donc j’existe. Le secret dans un couple est synonyme de mensonge. Bizarre retour en arrière, réapparition d’un esprit bourgeois et hypocrite tel qu’on le connaissait au XIXème siècle.

Tromper est abominable. Si l’on avoue, la morale est sauve et tant pis si l’on fait naufrage. Tant pis également si, dans cette frénésie communicante, on prend son conjoint pour un thérapeute. Après tout, on s’est bien promis aide et assistance.

Bon, alors, un pas en avant, deux pas en arrière, la vie en couple est donc une éternelle valse-hésitation ? Si l’on en croit Christine Orban, écrivain, il faut plutôt avoir le pied marin :

« Je connais, dit-elle, des femmes fort habiles qui naviguent avec subtilité dans la demi-mesure. Mais mentir tout le temps a ses exigences: savoir se dédoubler et avoir une mémoire d’éléphant. »

L’homme, en général, ne fait pas dans la nuance…On savait les deux sexes fondamentalement différents, on les découvre incompatibles. Pourtant, dans une histoire amoureuse, on est souvent attiré par son contraire. Et nombreux sont les couples où l’homme se tait pendant que la femme pépie allègrement,  ou ceux où l’homme brille en société, tel un paon qui fait la roue, et la femme se fait discrète.

Ces « paires » là étonnent, comme deux chaussures dépareillées. On ne comprend pas comment ils ont pu se trouver et s’assembler.

Inutile d’expliquer que la modeste est le repos du guerrier et que la volubile subjugue son conjoint au point de l’hypnotiser. Chacun a confiance en l’autre, ils vivent dans le respect.

Les règles du jeu sont fixées, en société comme à la maison. Chacun a sa place, chacun joue un rôle, mais aucun ne fait abstraction de sa personnalité.

Selon un modus vivendi bien établi, on laisse à l’autre la vedette, assuré que l’on est d’avoir son heure de gloire, en public ou en privé.

Le goût du secret

De la même façon, on respectera son jardin secret, ce petit lopin de terre que l’on cultive à sa façon, cette chambre secrète où l’on se réfugie pour rêver. Vivre un instant dans la clandestinité, même virtuelle, nous sauve de l’asphyxie.

S’échapper est une bouffée d’oxygène, une habitude d’hygiène indispensable à la bonne santé des deux partenaires. Le silence entretient le mystère, se taire ravive le désir.

Deux êtres qui s’aiment arrivent toujours à s’entendre. Au-delà des mots. Leur accord n’est pas pollué par une surenchère de d’informations et d’anecdotes.

Et le secret, d’après les hommes, auréole les femmes d’un mystère excitant, presque érotique.

Le désir se nourrit de l’attente. C’est comme la faim, l’important se passe avant. Pendant on dévore, après on est repus…ou déçus. Le secret chez une femme, c’est tellement beau, ça rend les hommes délicats.

Laisser faire, ne pas forcer, vivre l’instant présent, apprécier le mutisme de l’autre, savourer les mots quand ils viennent naturellement aux lèvres. Mots d’amour, mots de tous les jours, peu importe, leur musique rythme notre marche, ainsi va la vie.

Variations, vibrations, pauses et silence, ainsi se joue la mélodie de nos émotions. Sans succomber au dictât du tout dire revendiqué par la société, du tout expliquer, tout exiger.

Vivre en harmonie sans se parler, être heureux dans le dialogue, et surtout garder sa liberté, telle pourrait être la méthode à suivre pour  durer.

*Jacques-Antoine Malarewicz est psychiatre, thérapeute du couple et auteur du « Complexe du petit prince », Editions Robert Laffont.