Médire, critiquer, cancaner, faire des ragots, des commérages, quelle activité passionnante ! Au bureau, entre amis, en famille, autour d’une table ou dans un coin de porte, dire du mal des autres est un sport quotidien auquel on s’adonne avec délectation.
L’objectif est multiple : d’abord se faire des alliés, établir une connivence en glosant sur un absent. Se valoriser ensuite, en diminuant la cible puis, finalement, en l’éliminant. Se protéger enfin, donc attaquer avant de se défendre, dans le cas où l’on aurait senti un potentiel intéressant qui pourrait à court ou moyen terme nous porter préjudice.
Sans parler de l’acte gratuit, profondément jubilatoire, de dire du mal comme ça, pour le plaisir et par ce qu’on ne peut vraiment pas s’en empêcher.
Médire est un art
Et il est triste de constater qu’il est souvent exercé par des amateurs qui ne font pas dans la dentelle et gâchent le métier. Pour se livrer à ce sport particulièrement périlleux mais jouissif pour celui qui le pratique, il y a pourtant des règles de base.
Au début, prudent, on tâte le terrain : juste un ou deux sous-entendus, l’air de ne pas y toucher, sur un ton dégagé, histoire de montrer que l’on n’est pas vraiment concerné.
Si « le confident » (malgré lui) ne répond pas, il faut laisser tomber. C’est encore un ou une de ces béni-oui-oui qui trouvent tout le monde merveilleux ou qui ne portent pas de jugement car il y a du bon en chacun de nous.
Si, en revanche, le poisson mord à l’hameçon, sourcil levé, Trompe d’Eustache grande ouverte et œil interrogateur, on peut pousser un peu plus loin. Une petite vacherie supplémentaire, énoncée sur le mode plaisanterie avec un brin d’indulgence fera l’affaire. Mais il faut s’arrêter là la première fois. Même si l’on sent, si l’on sait, que le terrain est fertile. L’homéopathie est d’autant plus efficace si l’on répète les doses. Dans la médisance, c’est pareil.
Il ne faut pas non plus laisser passer trop de temps avant de revenir à la charge. On ne sait jamais : la cible, entre temps, pourrait gagner du terrain. Battons le fer tant qu’il est chaud et remettons le couvert le lendemain par exemple.
Adopter une stratégie
Deux tactiques au choix : insister sur le travers indiqué dans la première confidence, ou souligner un autre défaut, mineur, genre maladresse, lenteur, zèle intempestif, ou manque de réactivité.
Je conseillerais la deuxième solution qui présente l’avantage d’être plus subtile et beaucoup plus sournoise. On peut même s’attendrir sur l’imperfection que l’on vient de souligner afin de mettre en valeur à la fois notre perspicacité mais aussi et surtout notre grande bonté. Là, normalement, notre confident(e) doit non seulement dresser l’oreille mais intervenir en posant une question ou en ajoutant une touche personnelle. L’idéal étant de l’amener à abonder dans notre sens, ce qui est le début de la complicité recherchée. À notre tour de nous étonner de ses qualités d’observation et de relever nos similitudes pour finir par nous amuser de ce rapprochement inattendu par le biais involontaire de la victime.
A ce stade, la première pierre étant déjà posée et bien posée, on peut arrêter de clabauder et construire une relation sur du positif en se trouvant des centres d’intérêt communs par exemple. Sauf si la cible reste potentiellement dangereuse, auquel cas il faudra continuer de creuser le sillon et s’atteler tous les jours à la charrue de la médisance. La tâche sera plus aisée puisque la réceptivité de la confidente est déjà prouvée. En dehors de l’entreprise de dénigrement proprement dite, dûment programmée, dans un crescendo inexorable, on pourra même s’octroyer de petites joies comme des remarques peu charitables ou même carrément cruelles sur la tenue vestimentaire et le physique. C’est délicieusement jubilatoire mais il ne faut pas en abuser surtout si la personnalité de la confidente ne recèle pas la même source intarissable de vacheries que nous.
Elargir son auditoire
Tant qu’on y est, on peut aussi décider d’une tactique plus ambitieuse : aller semer la mauvaise graine auprès de plusieurs confidents. La méthode d’approche sera toujours la même, la cible aussi, l’avantage étant de pouvoir fédérer une sorte de club de l’amitié autour de soi en daubant sur le dos d’un bouc-émissaire. Si les confidents ont les qualités requises (bonne écoute, esprit critique ou influençable, petit caractère mesquin ou frustré), on a alors toutes les chances de devenir chef de meute. Outre la satisfaction de manipuler tout un groupe qui, forcément nous admire et nous suit aveuglément, cela rend la traque plus facile et l’élimination de la proie plus rapide.
Attention : s’il est indispensable de se débarrasser de quelqu’un de gênant (pour soi, pour sa carrière, pour son réseau relationnel), il faut cependant y réfléchir à deux fois : la situation peut se retourner contre nous. Plus de bouc émissaire, plus d’enjeu commun, plus de sous-entendus bien méchants, plus de rires sournois, plus d’imitations grotesques par derrière, le groupe risque de se désagréger ou, pire encore, de réaliser que l’élimination de la cible est un danger qui menace tout un chacun. D’où la compassion, d’où la réflexion sur les causes (injustes) de l’éviction, d’où la remontée vers la source de tous ses maux, c’est-à-dire, nous.
Moralité de l’histoire
Seule solution pour éviter la menace d’un putsch, trouver rapidement une autre tête de turc. Pas toujours facile si on ne veut pas puiser dans le club des fans, en ce moment les nouveaux ne sont pas légion dans les entreprises.
C’est jouable dans un cercle d’amis. Si, après une lutte doucereuse et riche en chausse-trappes, on a évincé sa principale rivale, en place depuis déjà longtemps, éjecter une nouvelle concurrente devrait être un jeu d’enfant.
Sauf que l’agneau qui vient de rentrer dans le troupeau et dont les bêlements soumis nous exaspèrent, n’est pas toujours si tremblant sur ses pattes et que son comportement, comme le nôtre, décline peut-être à merveille les adjectifs suivants : cauteleux, perfide, retors, insidieux, doucereux, fourbe, mielleux…
Après avoir dit du mal des autres, on pourrait bien se retrouver dans la peau de la victime. Et là, pas la peine de faire un discours : si on a enfin trouvé son maître es ragots, autant faire allégeance ou envisager prestement d’aller médire ailleurs.