« Miroir, mon beau miroir, suis-je la plus belle » ? Interroge-t-on chaque matin au saut du lit avec une pointe d’anxiété. Certains jours, la réponse nous transporte de joie. Mais parfois le miroir fait la gueule, garde un silence révélateur et nous renvoie à nos vieux complexes. Moi pas aimer moi. Mais moi avoir quand même grande indulgence pour moi…bizarre, non ?

Premier cas de figure : même si on n’est pas une beauté fatale, un clone de Catherine Zeta-Jones ou de Monica Belluci, la nature nous a dotées de certains atouts. Un joli corps, un petit nez mutin, de grands yeux innocents, un sourire à damner un saint, une chevelure à la Botticelli, cochez la case, ou les cases qui vous correspondent.

Deuxième alternative : rien à signaler, genre neutre, yeux marrons, cheveux châtains, nez rond, silhouette quelconque, pourtant on s’accorde volontiers à nous trouver un certain charme.

Dans le pire des cas, la hanche dodue et la poitrine plate, le nez à piquer des gaufrettes, le menton qui rebique, mais le détail qui sauve, des mains ravissantes, un regard tellement expressif et, selon notre entourage, du caractère, ou de l’allure.

On fait avec ce qu’on a et quand on fait tourner nos neurones sur grand pignon, ma foi on arrive à tirer parti de nos atouts : garde-robe adéquate, coiffure ad hoc, maquillage avantageux, attitude, démarche, voix, les outils ne manquent pas. Total : on est contente, donc séduisante.

Le papier glacé me glace, pas vous ?

Sauf quand on se voit, immortalisée sur papier glacé, sur écran géant ou sur un ordi non compatissant. Horreur, malheur, comment se fait-il que l’on soit si moche. Du double menton au regard fuyant en passant par le teint couperosé ou la cuisse style jambonneau, c’est un cauchemar. Même dans un casting pour le rôle principal de l’Exorciste, on n’aurait pas voulu de nous. Normal, parce que CE N’EST PAS NOUS !

Il y a pourtant des obstacles incontournables, causes évidentes d’une inévitable perte de confiance, je veux parler du terrifiant Photomaton. Impossible d’éviter la photo d’identité : du C.V. à la carte, au passeport, au permis de conduire, bref, à toute la paperasse administrative dont nous avons besoin pour exister, il faut montrer notre petite tronche. Réflexion faite, il nous faut un photographe professionnel. Il suffit de regarder les photos de Grand-Maman signées Harcourt pour s’en convaincre.

Photoshop à la rescousse

Le problème est bien là, mais ailleurs pourtant : c’est quand l’objectif ne nous aime pas. Ou la caméra. C’est d’ailleurs ce qu’on dit des actrices : celle-ci ne passe pas à l’écran, « la caméra ne l’aime pas ». Et puis, inutile de nous prendre pour des imbéciles : les photos pleine page, en couverture des magazines, où dans un « flouté » flatteur, tout est parfait, le teint, les dents, les yeux, on sait bien que les filtres, ce n’est pas fait pour les chiens et que Photoshop est un outil précieux et fort utilisé. Les logiciels de retouche pour rehausser l’éclat des yeux, gommer les rides, ou affiner un visage font un tabac.

Marianne, ancienne commerciale dans une maison de parfums et de cosmétiques n’est pas dupe et le fait savoir :

« C’est à mourir de rire, souligne-t-elle, amusée. Les actrices qui représentent les grandes marques ont toujours l’air d’avoir vingt ans alors que leur état civil en affiche au moins vingt de plus. Tout le monde sait qu’elles sont abonnées au B.B., Botox-Bistouri, et que ces lèvres pulpeuses, ce cou lisse comme du marbre, ces paupières diaphanes ne sont pas d’origine. C’est comme les voitures d’occasion : on a gardé le moteur et changé la carrosserie. »

A contre-jour, d’accord

Loin des rêves siliconés et de la chirurgie esthétique, il y a des femmes vraies : vous, nous, celles qui ne touchent pas à leur capital de départ santé-beauté. De belles femmes, élancées, les hanches étroites, un sourire clair, telle Jeanne qui, pourtant, chaque fois qu’elle se voit en photo crayonne rageusement son visage au stylo bille. Telle Anaïs dont on retrouve le corps privé de tête, puisqu’elle a pris le soin de la découper soigneusement pour ne pas la laisser à la postérité. Telle Louise qui déchire impitoyablement toutes les photos où elle figure.

Telle Alice qui n’accepte que les prises de vue en contre-jour ou dans une semi-obscurité : « Là, c’était au Brésil, commente-t-elle, à Rio. »

Oui, bon, il y a la mer, bleue, le ciel, bleu, des voilages, un mur et une silhouette assise de dos à la fenêtre, jambes croisées, dont on devine à peine le visage épuré. On la sent plutôt fière, le flou artistique la faisant ressembler à une image pieuse un peu effacée. Alice fuit l’objectif, elle dit que son visage est trop mobile, qu’un de ses copains photographe lui a expliqué que seules les physionomies statiques, peu expressives rendaient bien face à l’objectif. Comme les stars d’une autre époque, Marlon Brando, Greta Garbo, figées à jamais dans leur superbe.

Terrifiante, la photo sur la plage !

Chacune a ses marottes : présenter son bon profil, lever le menton pour bien tendre le cou, regarder au loin d’un œil rêveur, prendre un air grave, s’appuyer à un mur, toutes ces mises en scène étant évidemment obsolètes quand on ne prend pas la pose.

La photo spontanée, prise quand on ne s’y attend pas, peut-être formidable, justement par ce que la personne est prise sur le vif donc complètement naturelle. Elle peut aussi se révéler désastreuse pour le modèle qui ne se trouve pas « top » du tout.

Dans le genre terrifiant, la photo sur la plage : éblouie,  les yeux plissés, toutes rides dehors, on est saisie, un peu comme un steak dans une poêle, le corps mollement abandonné à la caresse du soleil. Le lâcher-prise étant absolu, les bourrelets sont à l’aise et la cellulite se gonfle de bonheur. En fin de vacances, le bronzage est un bon camouflage. Au début, les couleurs vives environnantes, le pastel du maillot de bain et le sable doré font ressortir avec virulence notre blancheur étalée. La surprise est généralement pour le retour, avec gros plan sur des zones que l’on aurait aimé garder dans l’ombre. Cet instant de vérité absolue, ce face à face avec son image est d’autant plus dur à vivre qu’il est généralement partagé.

« L’horreur, se souvient Anne-Laure, une libraire de 54 ans, une humiliation cuisante. La bande d’amis autour de la table, une bonne ambiance et soudain les photos, sur grand écran, comme au ciné. Et là, échouée sur le sable, comme un cachalot, moi, moi, encore moi. A croire que mon mari s’était acharné. Pas une seconde je n’ai pensé que je n’étais pas à mon avantage: j’ai pensé que j’étais moche, et que c’était çà que les autres voyaient. »

Cette histoire ne finit pas mal. Anne-Laure étant une battante, elle s’est attelée avec énergie à corriger une image qui ne lui plaisait pas et s’est forgé une apparence à toute épreuve. L’été suivant, c’est elle qui a pris un malin plaisir à mitrailler les autres.

Nos photos, souvent, sont banales,  rarement merveilleuses parfois surprenantes, ou même brutales. Au lieu de nous lamenter sur notre manque de photogénie, à nous d’en tirer les leçons nécessaires. Ce que nous voyons là, c’est le regard des autres : tantôt indulgent, tantôt mortifiant, en tout cas jamais neutre.  Y a pas photo !