L’habit ne fait pas le moine. D’accord, mais les soldes nous rendent folles. Deux fois par an, une excitation fébrile nous gagne : démangeaisons au bout des doigts, impatience dans les jambes, totale indifférence aux autres, on guette le jour J.

Petite boule d’angoisse au creux du plexus et une idée fixe : ne pas rater « l’occase du siècle ». Les psys parlent d’une dépendance, certains évoquent une pathologie, d’autres une souffrance dissimulée derrière ce furieux besoin d’acheter.

Soyons sérieux : faire les soldes, c’est avant tout un grand moment de gaieté, de plaisir non planifié, de dépense extravagante, d’achat imprévu. En résumé, une catastrophe pour le porte-monnaie, mais l’anti-déprime le plus efficace jamais trouvé.

Vivre au-dessus de ses moyens en payant moins

On arpente le bitume sans relâche, prête à tout : faire la queue pendant des heures devant une boutique de luxe, resquiller pour passer devant, insulter la vendeuse épuisée qui vient de donner « notre » article, en venir aux mains, chacune agrippée à un morceau de tissu, bousculer d’un coup d’épaule ou d’une soudaine cambrure des reins. Tous les coups sont permis: ruser, louvoyer, séduire ou gémir, s’imposer ou glapir, rien ne nous fait peur.

Mobile officiel : faire des économies. Motivation profonde : enlever à bas prix le butin qui fera de nous un être à part.

Le premier jour est le pire : le sentiment d’urgence est à son maximum, la peur de se faire « doubler » tord le ventre. Sur les pancartes, les chiffres dansent une sarabande qui donne le vertige, les portants plient sous le poids des vêtements, les boites à chaussures vomissent leur contenu à même la moquette. Affolée, on achète. Quoi ? Peu importe. C’est un 36 ? D’ici l’hiver prochain on a bien le temps de maigrir. La mode change ? Que nenni, c’est intemporel, ça s’en va et ça revient. On en a vraiment besoin de ce truc ? Bah, ça servira toujours, à ce prix là, c’est une affaire.

Bousculades populaires

Monoprix, Leclerc, Conforama, Kiabi,  Decathlon… autant d’enseignes où l’on s’écrase dés l’ouverture.

Dés 9h, les caddies frémissent, prêts à s’élancer. Le rideau se lève : course dans les rayons, collisions en têtes de gondoles, empoignade autour d’une chaîne hi fi, folie furieuse sur les télés, sitting dans le frigidaire, porte ouverte en attendant du renfort.

On se vautre en famille sur le canapé à moins 40% : on y est, on y reste et le fait de poser son auguste derrière sur ce trophée de guerre signifie clairement : il est à moi ! Finis les comptes calculette à la main, terminées les conversions d’euros en francs. Le pourcentage en moins fait toute la différence. Avec la rareté de l’article : il n’y en a qu’un, il faut faire vite.

Au rayon vêtements, on pille les piles et on jette par terre ce qui ne convient pas. Pas le temps d’aller à la cabine d’essayage, on se déshabille sur place. Certaines, frustrées, glissent le vêtement de leur choix, malheureusement trop petit ou trop grand sous un tas en désordre : c’est un peu comme les œufs de Pâques, il faudra le chercher.

Dans la famille Goinfre, cherchez le père : guidé par son épouse, il a empilé les cartons et objets dans son caddie. Pêle-mêle, le sèche-cheveux, le grille-pain, le kit de brosse à dents électriques, le micro-ondes, les baskets, l’ordinateur portable, la litière pour le chat et le service en Arcopal. Puis on s’éloigne dans un coin tranquille pour faire le tri.

La chasse au trésor

Rituel, sport, jeu de piste ou parcours du combattant, les soldes sont un moment hallucinant. Mariage hors normes du superflu et du nécessaire, du luxe et du raisonnable, de l’abondance et de l’économie, planifiées des mois à l’avance ou décidées la veille, elles jettent à la rue des milliers de femmes – et d’hommes- saisis d’une montée d’adrénaline.

Les acheteuses de soldes sont aussi capricieuses que le désir, aussi différentes que les saisons, aussi compliquées qu’un devoir d’algèbre. Les organisées prévoient des mois à l’avance. Les habituées achètent l’été en hiver et le contraire. Les acharnées circulent dans les hypermarchés à longueur d’année. Les obstinées repèrent l’objet de leur convoitise et se lèvent dés potron-minet pour se l’approprier. Les suspicieuses décollent les étiquettes pour vérifier le prix d’origine. Les économes hantent les boutiques mais n’achètent qu’à la dernière démarque. Les sages calculent. Les insatiables entassent.

Plus le temps de comparer, de réfléchir ou d’hésiter. Il faut acheter. Dingues de soldes et vendeuses au bord de la crise de nerfs montent ensemble au filet pour livrer un match inégal mais d’où chacune sort…lessivée !

QUELQUES CHIFFRES

  • 1/3 des consommatrices achète ses vêtements pendant les soldes.
  • 63% des femmes de 25 à 35 ans et 43% des femmes de 65 ans attendent les soldes pour compléter  leur vestiaire.
  • Les français dépensent en moyenne de 30 à 50% de plus pendant le mois des soldes que pendant un mois normal.
  • Il y a dix ans, les soldes ont représenté 25% du chiffre total annuel du commerce du textile.
  • La plupart des marques avouent un chiffre d’affaires de 30% supérieur à la normale pendant le mois des soldes.

* ( Enquëtes de l’Ifop et du Secodip )