C’est très énervant. C’est exaspérant. Cela peut rendre fou, fou de colère, ou déclencher des doutes corrosifs sur l’état de notre mémoire ou de notre santé mentale.

Et pourtant, ce n’est rien, ou si peu de chose parfois : un ton légèrement incrédule, une question anodine, une réponse évasive ou une négation têtue.

La mauvaise foi est un ennemi sournois, pervers, qui fait sortir de ses gonds, ou déstabilise gravement.

Attention, il ne s’agit pas d’un mensonge : beaucoup plus subtil, nettement plus habile, c’est un système de communication déviant, adopté par ceux qui se défendent, parce qu’ils sont dans leur tort, ou par ceux qui attaquent, parce qu’ils manipulent. Derrière la mauvaise foi, il y a toujours une motivation consciente, une intention cachée, un objectif occulte.

Mais que faire …?

Face à tant de cohérence, deux solutions s’imposent: au pire, adopter un repli stratégique et peu glorieux, histoire de sauver les meubles, au mieux, essayer de lutter pied à pied, sans avoir le choix des armes. En général, dans les deux cas, on est perdant, car, comme disait Jean Rostand : « l’odieux dans la mauvaise foi, c’est qu’elle finit par donner mauvaise conscience à la bonne foi ».

A la gravité des gens sincères, à la sagesse des vertueux, la mauvaise foi oppose un visage souriant, une légèreté charmeuse. Telle une pelote, elle rebondit sur le fronton de notre ébahissement, se moque de notre naïveté, se joue de notre crédulité.

Inutile de caresser l’espoir chimérique de la coller au mur, comme le mensonge, coincé entre deux bonnes preuves. Accompagnée d’une assurance insensée, elle louvoie, insinue, distille et s’évanouit dans une pirouette au moment où l’on croit la tenir. Osons contredire Jean-Paul Sartre qui affirmait que, chez elle, il n’y avait « ni mensonge cynique, ni préparation savante de concepts trompeurs »* et penchons-nous lucidement sur cette scoliose comportementale qui autorise toutes les compensations.

Comment détecter la mauvaise foi

Sa plus grande similitude avec le mensonge est le décalage conscient entre ce que l’on dit (ou que l’on fait) et ce que l’on pense. Une caractéristique que l’on trouve souvent chez les personnes malhonnêtes…

Notre réceptivité nous apprend (parfois) à mieux connaître les autres et, de temps à autre, à éviter quelques mésaventures. De même, si l’habileté et la dissimulation sont souvent une seconde nature, une attaque frontale peut désarçonner. Et, du coup, révéler des indices décisifs: déclaration d’innocence, multitude de prétextes, arguments fallacieux, propos incohérents dénotent une déstabilisation cependant très provisoire.

Dans leur désir de convaincre, certains redoublent de « je te jure », « franchement », « tu me connais, ce n’est pas mon genre »…et ce n’est qu’acculés, dos au mur, qu’ils perdent pied et adoptent une attitude agressive ou bien montrent un désarroi aussi violent que passager.

Parfois même, face à un interlocuteur tenace, la personne prise en faute, consciente du danger, ne cherche pas à se justifier et bascule immédiatement dans la négation la plus absolue, le mensonge ferme et définitif. Pas de polémique, pas de débat : dans l’urgence, on ne se casse pas la tête, on fait tourner celle de l’autre.

Un instrument de déstabilisation

La mauvaise foi se niche souvent avec délices au sein du couple. La naïveté de l’un fait le bonheur de l’autre. La manipulation est un thème central et récurrent du processus de mauvaise foi. La « victime » est en général assez naïve, sensible, et, surtout,  manque de confiance en elle. D’où la vulnérabilité, la peur, suscitées par la remise en question initiée par l’autre.

Dans ce couple qui respire le bonheur à peine voilé  par la dépendance de l’un des deux, il n’y a cependant aucune agression : seulement un lent et long travail de déstabilisation basé sur l’apitoiement et la culpabilisation.

« Tout a commencé après la naissance de mes deux fils, confie Régine, 35 ans.  Mon mari a mis le doigt de plus en plus souvent sur ma fragilité. Il soulignait sans cesse ma maladresse, me mettait en garde contre des dangers invisibles, m’isolait en écartant mon entourage. Je subissais quotidiennement le régime de la douche écossaise : soit il se fâchait et j’avais peur de le perdre, soit il me dorlotait, compatissait, se souciait de ma santé et je fondais devant tant de bonté. Une comédie infernale qui a duré des années, et dont je suis sortie grâce à mes amis qui n’ont eu de cesse de m’ouvrir les yeux. »

La mauvaise foi, heureusement, n’est pas toujours cette torture perverse, cette entreprise de démolition menée avec un sang-froid remarquable.

Un manque de courage navrant

Elle est également l’apanage des angoissés, de ceux qui culpabilisent, des froussards qui n’osent dire la vérité de peur d’entrer dans un conflit. La famille, source de tant de culpabilité et de non-dits, véhicule ce style de pathologie. Plutôt mentir que dire. Après, après on verra, on cherchera à se dédouaner tant bien que mal.

Sauver la face est primordial et on se préserve derrière un mensonge gros comme une maison. Ce genre d’attitude fertilise un terrain où la rancœur le dispute à l’amertume. Jusqu’au jour où tout explose, car le fautif hurle, vocifère et préfère refuser le dialogue plutôt que d’admettre. « On ne peut pas discuter avec toi, je préfère m’en aller », déclare-t-il alors drapé dans sa dignité. Fortement bousculé malgré tout, le « menteur » bat alors en retraite et choisit de faire la tête.

La tactique du « je sais tout »

Le Monsieur ou la Madame Petit-Robert  n’est pas une denrée rare. Plutôt urbain, très pressé, très stressé, il est un poil autoritaire et plutôt pète-sec dés qu’on le contrarie. Il attend de nous une écoute attentive et une crédulité sans faille. Non qu’il  soit convaincu de détenir la vérité, bien au contraire : son objectif est de faire valoir qu’il a raison, toujours, alors qu’il sait la plupart du temps qu’il a tort ou qu’il doute fortement. C’est forcément très agaçant. Ainsi que le dit Hervé Magnin**, « Sa mauvaise foi est la rustine de l’imperfection encyclopédique… ».

La mauvaise foi est un mode de communication complexe utilisé par ceux qui ne peuvent parler d’eux ouvertement, ni exprimer franchement leurs désirs. Même les plus catégoriques ressentent au fond d’eux-mêmes une sourde anxiété : peur du conflit, peur de ne pas être apprécié, peur de ne pas être écouté, l’intensité et l’ancienneté de leurs émotions sont déterminantes. Si leur comportement est préjudiciable pour les autres, la première victime reste cependant eux-mêmes.

L’appauvrissement ou la rupture du dialogue entraîne l’isolement: aussi le Monsieur (ou la Madame) Petit-Robert use-t-il souvent de son charme pour rattraper le coup quand il a frappé un peu fort. Il revient d’un air benoît, genre faux naïf et sollicite humblement des conseils qu’il ne suivra évidement pas.

Perçue dans le pire des cas comme un abus de confiance, la mauvaise foi détériore peu à peu la relation avec l’autre. Dans un rapport cordial mais un peu lointain, le capital sympathie demeure car il n’y a pas ou peu d’affectif, donc peu de déception.

Dans la communication avec un proche, c’est différent : tant que la mauvaise foi se cantonne à des territoires négligeables, on pardonne, on peut même sourire. Mais quand il y a répétition, perturbation de l’échange entre deux personnes, une sensibilité blessée, il est difficile de ne pas perdre confiance et de penser à prendre ses distances.

Caricaturée avec humour au théâtre, mise en scène de façon outrancière  dans des sketches, la mauvaise foi fait rire aux éclats. Mais, en définitive, elle caractérise un comportement asocial et nuisible.

Et si, comme l’écrivait cyniquement Talleyrand, « la parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée », alors, choisissons de nous taire !

(A lire : * « La mauvaise foi », Editions Hatier-**« Ces gens qui ont toujours raison », Editions Eyrolles)