Le point de vue de Vincent Guilloux, Psychologue cognitiviste

Pourquoi, souvent, ne s’aime-t-on pas sur une photo ?

“ Dans l’image de soi, il y a en fait trois images : l’image perçue par les autres, l’image perçue par soi en voyant une photo par exemple, ou en se voyant dans un miroir, et la représentation intérieure que l’on se fait de soi. Forcément, il y a des décalages entre les trois. On ne se regarde pas comme les autres nous regardent. On sélectionne l’information différemment quand il s’agit de soi. Nos yeux se focalisent sur les rides par exemple, ou les cheveux blancs, en imaginant des conséquences négatives dans nos relations.

Le mari qui photographie sa femme sur la plage voit un moment heureux, une expression de joie. La femme, elle, l’analyse plus tard comme un “ état des lieux ” tendancieux : elle fait malgré elle un « biais de sélection », qui vient confirmer ainsi la mauvaise image qu’elle a d’elle-même.

Comme un préjugé ?

Oui, et cette perception négative est assimilable à une erreur de jugement. Cette erreur et une fixation outrancière sur son physique vont  induire de l’anxiété. Anxiété qui va altérer sa relation avec autrui, altération qu’elle va mettre sur le dos de ses petits défauts.

Elle refuse sa propre image parce qu’elle ne correspond pas à sa perception profonde d’elle-même. Certaines femmes misent tellement sur leur apparence que cela génère une peur pathétique, une angoisse de l’avenir. Jusque là elles avaient entretenu l’illusion de la permanence, et la photo, en révélant l’instant, leur fait prendre conscience du temps qui passe. Considérer son apparence comme le seul vecteur pour se faire accepter et reconnaître par les autres, c’est se préparer des lendemains difficiles.

On ne peut pas maîtriser son image ?

Notre apparence nous échappe en grande partie dans le regard des autres. On peut indiquer des directions, avec ses vêtements, son maquillage, mais on ne peut exercer un contrôle total. Or c’est justement ce que cherchent certaines femmes : en contrôlant leur image, elles essayent de reprendre en main leur vie. Elles sont à la recherche d’une sécurité perdue. Aujourd’hui, on est tout le temps dans le jugement, sur soi, sur les autres. Nous vivons en permanence dans une comparaison compétitive, une fichue et toxique position de rivalité. Pour sortir de cette alternance dominant-dominé, il serait pourtant simple de favoriser la complémentarité et la coopération.

S’aimer et s’accepter, c’est différent ?

Le plus souvent. Si je ne m’aime pas, c’est par rapport aux autres. Si je m’accepte, je peux apprendre, être inventive, chercher à m’améliorer, je me connais. S’estimer n’est pas forcément s’aimer, c’est surtout bien se connaître. La valeur que l’on s’accorde est variable, la valeur humaine est stable et non mesurable. Avoir une apparence qui n’est pas au “ top ”, selon les canons de beauté de notre époque, n’enlève évidemment rien à notre valeur humaine. Le principal est d’avoir une relation satisfaisante avec les autres. Exister, c’est s’investir dans la vie, dans ce que l’on perçoit du monde et des autres. Et non s’épuiser dans une représentation égocentrée de soi qui nous isole et, finalement, nous fait passer à côté du bonheur.”