Une personne désordonnée peut-elle avoir les idées claires ?

« Une personne ordonnée est une personne structurée. Trop ordonnée, elle devient une personne obsessionnelle. Chez un enfant, le désordre est spontané, naturel. Le fouillis dans la chambre des enfants est à la fois une transgression et une délimitation de leur territoire. C’est bien connu : on se reconnaît dans notre désordre. Ainsi l’ordre structure, le désordre délimite.

Goethe disait : « quand je prends un livre de Kant, j’ai l’impression de rentrer dans une chambre bien rangée ».

Chez un adulte, le désordre est une compagnie, (jetez un papier par terre, vous voyez bien qu’il va irrésistiblement attirer votre attention) et une façon de se rassurer.

Que raconte la rigueur et que traduit la dispersion ?

La rigueur exprime soit une structure, soit une obsession. La dispersion marque le désir de ne pas être pris dans un système. La psychothérapie fait passer l’individu d’un système à une structure. L’amour, le travail, les relations sociales, le rapport à la culture et le rapport au corps sont les 5 structures de vie. La personne qui gère bien l’ensemble est à peu prés saine. La rigueur accepte la loi, la dispersion indique un esprit rebelle : l’individu fait à la fois jouer le parent et l’enfant qui sont en lui.

Se complaire dans la dispersion permet de renvoyer une autre image de soi ?

On brouille les pistes. Mais ça fait un peu nounours, un peu douillet : la personne n’affronte pas la vie, son désordre fait écran et la protège.

Faut-il s’imposer des limites ?

Tout est une question d’autorité. J’assimile l’autorité à un fauteuil : il m’empêche de m’asseoir à gauche ou à droite puisqu’il y a des accoudoirs. En même temps ces accoudoirs délimitent un espace de liberté et me permettent de m’appuyer. Il faut s’imposer des limites raisonnables, « une liberté au sein de limites librement consenties », dirait Joyce.

Quelle est la différence entre laisser aller et lâcher prise ?

Dans le premier cas, on ne prend pas ses responsabilités, on laisse faire. Dans le second…Le lâcher prise est une vaste couillonnade ! En Inde, chez les bouddhistes, peut-être y a t il des gens capables d’atteindre cette dimension.

Dans notre société occidentale, c’est une façon de culpabiliser l’autre : personne n’arrive jamais à le faire sauf celui qui le dit. Nous avons tous un quant à soi, le fondement de notre être.

A lâcher prise, je préfère « s’abandonner », c’est-à-dire prendre + donner. On s’abandonne à l’amour, à un bon film, à un beau spectacle : l’émotion prend le pas sur la rationalité. En équitation, on parle d’assiette, la capacité à se laisser aller sur sa selle, à descendre les talons sans remonter les genoux, à se décrisper. Et seuls les enfants ont spontanément une bonne assiette.

Notre personnalité peut-elle nous encombrer ?

Elle est faite de toutes les résistances que nous mettons en place. Nous trimballons des valises sans avoir vérifié si elles nous appartiennent. Pendant l’enfance, l’adolescence, on nous a appris à nous taire, à ne pas faire de vagues, à être conforme…

A partir de 20 ans, on nous conseille d’avoir des idées, d’être audacieux, original. La volonté dépasse alors la personnalité, ce qui donne des comportements névrotiques, voire pathologiques. Et quand on n’en peut plus de faire des efforts, s’installe un vertige existentiel.

Mettre de l’ordre dans sa vie permet d’y voir clair car c’est le non-sens qui rend malade. Le travail sur soi, c’est construire une autre maison à côté de la première, en prenant tout son temps. Ensuite, on rapporte des choses de la première maison dans la seconde. On en jette beaucoup aussi. Et un jour on ne va plus du tout dans la première maison, on a fait le tri. On s’est débarrassés de ce mauvais alter ego qui nous poussait à agir contre notre nature profonde. Il faut devenir qui on est. Je plante mes choux à la mode de chez moi. »

Le point de vue de Patrick Estrade, psychologue et psychothérapeute, auteur de « Comment je me suis débarrassé de moi-même- Les 7 portes du changement », aux Editions Robert Laffont.