Vivre ensemble, mais chacun de son côté. Le rêve de beaucoup de couples, surtout arrivés à un certain âge. Ceux qui ont franchi le pas, qui font chambre à part, ou même appartement à part, sont de fervents adeptes de ce mode de vie qui, pour eux, ne signifie pas rupture mais respect de l’autre et émois retrouvés.

Au commencement  d’une histoire amoureuse, au tout début d’une vie à deux, on n’a qu’une envie: ne faire qu’un, vivre ensemble, respirer ensemble, s’endormir dans les bras de l’autre et se réveiller la tête sur le même oreiller. A deux on construit un espace, un territoire intime qui a pour cadre la chambre à coucher et pour lieu de prédilection le lit conjugal.

A l’écoute du corps de l’autre, au contact de sa peau, à la recherche de sa chaleur, de son odeur, on se plonge avec délices dans un corps à cœur qui semble ne devoir jamais finir. Puis arrivent  les enfants et les nuits sans sommeil. Puis viennent les soucis. Puis vient la vie. Le temps passe, la famille s’agrandit, les enfants s’envolent et on se retrouve dans ce face à face, cette intimité que l’on avait si souvent désirée pour l’avoir perdue.

Une vie sans histoire

L’usure s’installe et l’on réalise que la passion amoureuse s’est muée en amour tout court, que cet amour là est devenu tendresse et que la tendresse s’est transformée en amitié. Le désir inassouvi s’est émoussé, laissant la place à une sorte de rassasiement triste. Notre complicité est toujours là mais il n’y a plus de jeu de la séduction, plus d’envie d’étonner l’autre, plus de secrets, plus de mystère.

La femme a perdu son pouvoir tant elle s’est dévoilée dans sa plus profonde intimité. Et à un certain âge, les matins féminins ne chantent guère quand on a le cheveu en berne, la peau terne et le corps fatigué.

L’homme, lui, a toujours le même regard acéré, même si une longue route ensemble le pousse à l’indulgence. Nous les trouvons attendrissants, avec leur calvitie, leur ventre et leurs ronflements. IIs nous aiment telles que nous sommes avec nos rides et nos kilos en trop. Ils nous le disent ou plutôt nous le confirment à la demande. Et c’est bien apaisant. Nous nous connaissons par cœur, c’est reposant. Nous formons un couple inoxydable, style L’inspecteur Maigret et Madame. Bonjour tristesse !

Mais les certitudes peuvent tuer l’amour, l’indulgence peut laisser place à l’indifférence, l’attendrissement à l’énervement. De trop posséder l’autre, on en perd l’appétit. Derrière sa calvitie,son ventre et ses ronflements, l’homme redevient un séducteur impénitent et son regard s’égare.

La femme, elle, inquiète, agitée d’envies qui ne sont plus de son âge, cherche à retrouver un corps de rêve sous lasers et bistouris avant de donner le coup de canif qui lui rendra son aura.

Et soudain, ce n’est plus tout à fait pareil. La routine qui rythmait nos jours a le poids d’une chape en ciment. Les habitudes qui balisaient nos nuits comme autant de bornes sur le chemin nous font bailler d’ennui. Les petits défauts  de l’autre, au début si touchants puis comme fondus dans un tout rassurant, sont sujets d’agacements.

Le couple poursuit sa route, ensemble mais séparément. Vieillit à deux en pensant ailleurs. Cohabite dans le détachement. Divorce dans les grincements.

Aujourd’hui, au lieu de rester sur un territoire occupé mais en terrain ennemi, certains préfèrent prendre les devants, histoire de préserver leur histoire. Et décident d’inventer une nouvelle mise en scène, de planter un décor original, d’imaginer d’autres rituels amoureux, de découvrir de nouveaux  codes de communication.

Ces sages, qui font souvent figure d’aventuriers ou de casse-cous, rendent le quotidien ludique, l’intimité sacrée, le couple privilégié : en faisant chambre à part, ils explorent un nouvel univers où chaque moment partagé redevient une fête.

S’échapper en douceur

Pour certains, c’est presque un instinct de survie : retrouver le plaisir d’une solitude décidée et non subie, profiter d’une intimité retrouvée, recréer un univers personnel composé d’un espace géographique à soi et d’une totale liberté de penser et d’agir, c’est un vrai bonheur.

Pour ceux-ci, indépendants et individualistes, le couple a été un passage obligé et une concession au conformisme. On se marie, on fait des enfants, on rentre dans le moule. Mais dans leur tête, toujours, a résonné la petite musique nostalgique de leurs années d’étudiants dans une mansarde. Pas de comptes à rendre, une vie studieuse ou dissipée, et leur bon plaisir pour seul maître.

Les hommes, souvent, ont connu ce parcours avec sauts d’obstacles. Heureux ou malheureux en ménage, bons pères de famille la plupart du temps, ils sont allés voir ailleurs pour ne pas perdre leur jeunesse. Question de tempérament. A 50 ans et plus, les enfants partis, le sentiment du devoir conjugal et familial accompli, ils ne rêvent que de s’échapper sans pour autant tout casser.

Ils aiment les femmes en général, la leur en particulier, mais préféreraient mettre de la distance, « prendre du recul » disent-ils, entre la mère de leurs enfants et leurs envies. Envahis par l’autre, ils se réfugient d’abord sur le canapé du salon avant d’envisager un repli stratégique dans un autre appartement. Pendant des années, leur bulle d’air a été sérieusement polluée, il est temps d’aller respirer ailleurs.

Pour ces célibataires contrariés, tout se fera en douceur, dans une sorte de glissement de la maison familiale vers un lieu bien à eux. Le retour au bercail sera motivé par des besoins essentiellement pratiques et pourra, selon les circonstances, s’accompagner de tendres mais brèves retrouvailles avec leur moitié. Ils ne crieront pas sur les toits leur liberté retrouvée et endosseront sans peine le costume du pauvre homme obligé de s’accoutumer à un statut de vieux garçon, tactique éprouvée pour se faire plaindre et plus si affinités.

Appartement à part : se séparer  pour mieux se retrouver

Si ces hommes là sont légion (pas la peine de se faire d’illusions), heureusement, il y a les autres, les nôtres, avec lesquels nous formons un couple béton.

Faire chambre à part est une décision mûrement réfléchie et prise d’un commun accord, histoire de réveiller une libido qui dort. Entre autres. Car cela fait un bon moment que chacun rêve d’une vie qui associe instants de solitude et moments vécus à deux.

Pour ceux qui le peuvent, la solution idéale est le LAT : « Living Appart Together » ou littéralement « vivre séparément ensemble », expression qui nous vient tout droit d’outre-atlantique où faire appartement à part est très à la mode.

Chacun reste chez soi, on gomme les habitudes communes et on partage seulement des moments choisis ensemble. Tout le monde y gagne : le couple se retrouve pour des temps forts, dans un renouvellement de l’intérêt pour l’autre, une sorte de seconde jeunesse mais, séparément,  chacun satisfait son besoin d’autonomie.

On dit oui aux fous rires, au plaisir, à la complicité, oui aux dîners aux chandelles, et non aux contraintes de la vie à deux. Le couple mène une double vie, alternant espaces-temps communs et espaces-temps bien à soi.

On se rend visite. En prenant rendez-vous auparavant. Finies les disputes devant la télé et les brosses à dents partagées, terminés les silences pesants et les nuits d’insomnies pour nuisance sonore. Non à la routine, à l’ennui, aux obligations. Et oui à la fidélité, au bonheur de se retrouver, à l’excitation de se découvrir pour mieux se surprendre.

Le jeu de la séduction mène de nouveau la danse, les rencontres étant vécues comme autant de rendez-vous galants. Il faut charmer l’autre, le reconquérir car finalement, on s’aperçoit qu’on ne le connaissait pas si bien. Voici que sa vie fourmille d’anecdotes, la complicité entraîne les confidences, chaque moment ensemble vibre d’une intensité particulière.

La redécouverte de l’autre

Au moment de  la retraite, le grand problème des couples est le manque de prétextes pour s’évader de la vie conjugale. Toutes les activités proposées ne peuvent masquer le vide sidéral créé par l’absence de travail avec ce que ça impliquait : hier on râlait de se lever à heure fixe, de rentrer tard, d’être harassé, de porter les problèmes de ses collègues mais chaque jour était une petite évasion. Aujourd’hui, le jardinage, la randonnée et les cours d’informatique, même s’ils comblent certains, ne véhiculent pas autant de nouveautés, surtout s’ils sont partagés.

Quand il y a séparation géographique, chacun s’organise à sa guise : on revoit les vieux amis, on s’inscrit en faculté, on part en croisière, on découvre le Taï Chi Chuan, et chaque loisir apporte de nouvelles connaissances.

Le fait de ne pas vivre sous le même toit crée un manque. L’absence de l’autre est parfois dure à supporter. Certes, les rencontres spontanées dans la salle de bains, autour du petit déjeuner, permettaient d’échanger quelques mots. Un geste affectueux, un baiser volé, entretenaient la relation. Sauf que la promiscuité, au fil des années, était devenue irritante et l’intrusion de l’autre était vécue comme une violation de son jardin secret. On ne se rencontrait plus, on se heurtait.

Aujourd’hui, dans cet état de décohabitation, on réapprend à désirer l’autre, à souffrir de ses départs. « La routine s’incruste quand on partage le même lit, raconte Maryse Wolinski. Ainsi a commencé une vie de couple revisitée par l’inconnu où tout redevenait imprévu. Pourtant, certains jours, je n’ai pas envie qu’il me quitte. Je regarde longuement la porte fermée. »