Dans la médisance, il y a un comportement irresponsable par rapport à la parole. On ne tient pas compte du fait que les mots portent. Ils font rire, pleurer, souffrir ou procurent de la délectation. On nie le fait que « dire » a des conséquences, on refuse de reconnaître le poids des mots. Or parler est lourd de conséquences.

Risque d’empoisonnement par médisance

Les mots ne tuent pas, mais ils font mal. Et le dénigrement, même si on l’ignore, peut démolir quelqu’un, casser une carrière, pourrir la vie.

Les gens ont toujours tout un tas de raisons pour dire du mal : pour se sentir mieux, pour se valoriser, par jalousie, par ce qu’ils nous détestent, par ce qu’ils sont malheureux, par ce qu’ils sont stupides. La jalousie, ou l’envie, est souvent à l’origine de la médisance : la réussite ou le bonheur des autres provoquent un sentiment d’insatisfaction, d’insuffisance, une perte de confiance en soi, une dévalorisation.

Le succès des autres ne motive pas, il pousse à détruire, et l’arme la plus facile, c’est la parole. Quand elle s’accompagne de couardise, au lieu d’être sarcasme et ironie, elle devient ragot et calomnie.

La médisance est partout : peu importe l’âge, l’héritage culturel, l’intelligence ou le niveau social, bureau, famille, amis, nourrissent en leur sein des personnes qui jasent dans votre dos. « Quand les amis sont flagorneurs ou opportunistes, disait Confucius, ils sont nuisibles. »

Conclusion : ne baissez jamais votre garde. Si l’on vous raconte des choses sur les autres, on en raconte aussi sur vous !

(A lire : « Ces gens qui vous empoisonnent l’existence » de Lillian glass, Marabout)

Le point de vue de Gilles d’Ambra, psycho-sociologue

Dire du mal des autres, est-ce un défaut plus féminin que masculin ?

Pas spécialement. C’est un défaut plus féminin par ce que les femmes parlent plus que les hommes. Les hommes, en plus, n’ont pas un discours de proximité, ils parlent politique, travail, sport, ils ont moins de socialité que les femmes. La médisance a une fonction sociale, il n’y a pas pire indifférence que le silence. Dire du mal des autres, c’est les faire exister. Et cela revient à créer un lien social avec celui qui écoute. En une formule, cela veut dire, je suis comme vous et lui, ou elle,  n’est pas comme nous.

A quel besoin profond cela correspond-il ?

En disant du mal, on sous-entend : « lui il est petit et moi, vous, nous sommes grands ». On abaisse l’autre en s’élevant, c’est très ambigu. Dans tout jugement, c’est sous-entendu. Si la personne est de la même partie que moi, dans le même secteur d’activité, cela veut dire que je suis le meilleur. Rabaisser l’autre, c’est une manière de communiquer. C’est aussi un mode d’exploration de l’autre, pour voir ce qu’il répond, ce qui est toujours risqué.

Dit-on du mal par envie ou par jalousie ?

Il y a une dimension comme ça. L’envie est un grand moteur de la médisance. Dans le fait de médire, il n’y a pas d’hypocrisie, on est convaincu du bien fondé de ce qu’on raconte. Il y a un côté narcissique, on se trouve un côté bien pensant, on se donne bonne conscience.

La médisance n’est pas forcément de la calomnie ou de la diffamation, cela peut revenir à pointer chez les autres un comportement pas bien, à ce moment-là on s’appuie sur des faits réels, il n’y a rien de diffamatoire, c’est fondé. Pourquoi le faire ? Pour se réconforter, se rassurer et se réassurer narcissiquement et socialement

Les médisants sont-ils bien dans leur peau ?

Ils sont mal quand c’est pathologique. Le médisant dans ce cas essaie de diviser pour régner. Arrivé dans un groupe humain, au lieu de s’insérer, il cherche à manipuler, c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Il pense réussir, il croit se faire aimer, avoir une très bonne relation, tellement il a besoin d’être aimé, d’être reconnu, de créer une intimité.

Est-ce un comportement violent ?

Je ne crois pas aux mots qui tuent. Il y a pourtant des gens qui sont fusillés par les mots. Oui, la médisance peut nuire, mais surtout auprès des crétins. Il e faut pas avoir peur de la médisance, on ne peut régler sa vie en fonction de cela, c’est une nuisance, pas la peine d’en faire une montagne. Dans le fond, tout le monde dit du mal de tout le monde, surtout des personnes que l’on connaît à peine ; parfois seulement pour se rendre intéressant, pour se valoriser. La médisance n’existe pas par rapport à un espace géographique mais en fonction d’un milieu social et professionnel. La télévision et la radio sont un haut lieu de médisance aujourd’hui.

Pourquoi ?

Chez Michel Drucker, tout le monde est merveilleux, c’est assez ennuyeux, chez Morandini, ou au Petit Journal de Canal Plus, c’est plus amusant. Les travers de nos compatriotes sont plus vendeurs que leurs qualités. C’est plus palpitant d’entendre quelque chose de négatif que du positif. Le bonheur est sans histoire. C’est donc dans les milieux les plus concurrentiels qu’il y a le plus de médisance : la communication, le cinéma, les médias, par ce qu’on vend de la subjectivité. Si vous fabriquez des cheminées, au final, vous êtes bon ou mauvais, il y a une sanction du réel, on juge sur l’objectif. Dans les médias, tous les jugements portent sur le subjectif.

Mais pourquoi particulièrement la radio et la télévision ?

La médisance se fait sur des noms, sur une notoriété. Pour que l’on médise de vous, il faut que vous existiez, que vous dérangiez. On dit du mal de vous soit par ce que vous êtes l’exemple à ne pas suivre, soit par ce que vous réussissez et l’autre pas.

Comment perçoit-on le médisant ?

On ne le perçoit pas beaucoup. Par ce que généralement il est loin de nous. On sait qu’il a médit par ce que quelqu’un l’a rapporté.  Et parfois on ne sait rien du tout : dans les milieux professionnel ou familial, on ne va pas répéter puisque de toute façon on cherche à établir une complicité sur le dos d’un tiers. Sauf évidemment quand le médisant cherche à semer la discorde.

La médisance peut-elle détruire ?

Dans les familles, la médisance prend une toute autre dimension, par ce qu’il y a de la zizanie. On ne cherche pas à construire un lien social, on cherche à détruire. Au centre, il y a toujours un personnage pathologique, celui qui sait que vous avez un problème, qui vous met en confiance, vous amène à vider votre sac et va tout raconter à l’autre. Pour détruire.

C’est le corbeau dans les villages, et là, cela devient de la malveillance.